The Radical Party and the Making of Kemalism (1901-1939)
Soutenance de thèse de Remzi CAKIRLAR (CETOBaC).
Mercredi 14 mai, 13h
Présentiel : Université de Leiden (Pays-Bas).
Distanciel : veuillez contacter le candidat : remzi.cakirlar@ehess.fr.
Résumé :
Cette thèse explore la manière dont les relations entre la France et le mouvement des Jeunes-Turcs ont été façonnées par le Parti républicain, radical et radical-socialiste ainsi que par ses idéologues et hommes politiques, de la période 1890 à 1939 – période couvrant à la fois, l’opposition jeune turcs, le Comité Union et Progrès (CUP) et le Parti républicain du peuple (CHP) en Turquie dans un contexte globale. Le point d’aboutissement de l’étude est l’émergence du kémalisme en tant qu’idéologie officielle de la République turque. L’analyse repose sur une trajectoire allant de l’“idée” à la “relation,” puis à nouveau à l’“idée,” en s’articulant autour de quatre questions: 1) Qu’est-ce que le radicalisme et quelles en étaient les idées principales? ; 2) Des liens existaient-ils entre radicaux français et acteurs ottomano-turcs ? ; 3) Quelle était la nature de ces relations? ; 4) Les idées radicales ont-elles contribué à la fabrique du kémalisme? La thèse montre que des relations réciproques, continues et fréquentes ont existé entre le Parti radical français et les Jeunes-Turcs, puis avec les dirigeants républicains turques. Les figures radicales françaises et leurs homologues ottomano-turcs ont agi comme passeurs politiques et intellectuels entre la Troisième République, l’Empire ottoman et la République turque. En France, les radicaux soutinrent successivement l’opposition jeune-turque, le constitutionnalisme ottoman après 1908, et la République turque après 1923. Ils jouèrent un rôle notable dans l’élaboration de la pensée kémaliste, particulièrement dans la formation des six principes (c’est-à-dire Six Flèches) : républicanisme, populisme, nationalisme, laïcité, étatisme et transformisme, adoptées en 1931 par le CHP puis intégrées à la Constitution en 1937. La thèse est structurée en sept chapitres. Les premiers analysent les origines idéologiques du radicalisme français y compris ses racines en outre-Manche et en Atlantique, ses courants socio-économiques (dont le solidarisme et le radicalisme socialiste), et la construction du Parti radical en France. Les chapitres suivants se concentrent sur les relations franco-ottomanes: d’abord entre les Jeunes-Turcs exilés à Paris et les radicaux français (1896–1908), puis entre radicaux et unionistes jusqu’à la Première Guerre mondiale, y compris l’émergence d’un radicalisme local (cezrîlik). Les relations après 1918 sont également explorées, notamment durant la lutte nationale et la normalisation entre 1921 et 1927. Enfin, l’étude analyse comment Atatürk et le CHP ont perçu et intégré le radicalisme, jusqu’à la mort d’Atatürk en 1938. Cette recherche remet en cause l’idée d’un kémalisme purement endogène. Elle met en évidence le rôle crucial du radicalisme comme vecteur d’idées républicaines et laïques, ayant nourri la doctrine officielle de la République turque. Le kémalisme apparaît ici comme une interprétation contextuelle et dynamique du radicalisme, née de l’interaction entre élites ottomano-turques et une frange particulière des radicaux français. Sur le plan méthodologique, cette thèse apporte trois contributions majeures. Premièrement, elle souligne que toute comparaison historique pertinente doit s’appuyer sur des connexions réelles entre acteurs. Deuxièmement, elle insiste sur l’importance des pratiques concrètes — discours, institutions, réformes, doctrine — qui traduisent les transferts d’idées. Enfin, elle propose de repenser la notion d’influence: loin d’être une imposition unilatérale, elle est un processus de transformation réciproque, au cours duquel les idées se modifient en traversant les contextes. Ainsi, les approches traditionnelles de l’“influence” apparaissent insuffisantes pour comprendre les circulations intellectuelles dans l’histoire.
Jury :
Mme Nathalie Clayer (Directrice de thèse), EHESS
M. Erik Jan Zürcher (Directeur de thèse), Universiteit Leiden
Mme Eveline Bouwers, Insitut für Europäische Geschichte
M. Sükrü Hanioglu, Princeton University
M. Alexandre Toumarkine, INALCO
M. Alp Yenen, Universiteit Leiden